Sébastien et Marie-Pierre

Le Petit Mas

MARTINVILLE / CANTONS-DE-L’EST

Par Amélie Masson-Labonté 

Dès mon arrivée au Petit Mas je suis frappée par la majesté du site. Je découvre un joli panorama vallonné comme on en voit tellement dans les Cantons. Le stationnement immense s’étend entre les bâtiments bordés de champs inclinés vers la forêt en contrebas. Je finis par dénicher Sébastien dans un hangar qui me conduit à leurs bureaux attenants à l’usine de transformation. Marie-Pierre m’y attend, et sitôt mes bottes enfilées, on traverse le stationnement de gravier puis le sol spongieux à la découverte des rangs où l’ail pointe déjà depuis un bon moment. « Ici, me dit-elle en désignant le champ, on est à environs 12 acres. En tout et pour tout, avec les parcelles des Saint-Malo on est à 45 acres de culture d’ail », soit un peu plus de 18 hectares selon le calcul que je fais un peu plus tard. Toutes les cultures sont en variété Music sauf un champ de Glazed Purple Stripe. Je demande pourquoi certaines rangées ont un couvert de paille et d’autre pas : « Oh c’est juste pour décaler la récolte de fleur d’ail », précise-t-elle « le soleil fait pousser plus vite les parcelles sans paille, ça nous donne à peu près une semaine de décalage. Avec la superficie qu’on a ça nous permet de souffler. » Ah ouais, suffisait d’y penser!

La grande histoire du Petit Mas

En jasant avec Marie-Pierre j’apprends avec surprise qu’elle et Sébastien sont d’origine montréalaise ; ils sont natifs d’Anjou et de la Prairie! Mais comment avez-vous atterri ici? Jeune adulte, elle décide de poursuivre ses études en biologie à l’Université de Sherbrooke où son père enseigne depuis quelques années. Un doctorat plus tard, le soir de la collation des grades elle reçoit une offre bien particulière : Christiane (Massé) la conjointe de son père cherche à vendre le Petit Mas. Marie-Pierre gagne alors sa vie comme professionnelle de recherche depuis près de deux ans et Sébastien travaille dans l’édition de livres scolaires. Leurs contrats sont précaires, alors c’est un pensez-y bien. Ils jonglent avec l’idée quelques temps avant de finalement se lancer. Oui, ils vont racheter la compagnie!

On est alors en 2012. Au début, ils habitent à Sherbrooke et cultivent les terres sur la ferme de Christiane à Saint-Malo. C’est surtout Sébastien qui voyage car Marie-Pierre s’occupe de la comptabilité et de l’administration à partir de leur maison tout en s’occupant de leur première née.  « Ça m’a pris pas mal de temps avant de me dire ok je suis agricultrice » confie-t’elle d’ailleurs un petit sourire aux lèvres. Graduellement ils augmentent les superficies cultivées à Saint-Malo ce qui leur permet d’aller chercher le capital pour acheter la ferme de Martinville, une ancienne ferme ovine sélectionnée méticuleusement après 30 ou 40 autres visites de ferme, à cause du potentiel de la terre et du bâtiment.

Le leg de Christiane

À la suite d’un voyage transformateur en Nouvelle-Zélande Christiane Massé revient au Québec imprégnée du désir de démarrer une ferme biologique diversifiée, et de parvenir à en vivre. Elle passe à l’acte en 1988 avec son conjoint de l’époque. Au tout début, à ma grande surprise ils font pousser une trentaine de légumes, ils ont des poules, des dindes, des cochons, des chèvres, ils font du fromage et font fumer leur bacon. « L’agriculture biologique à cette époque-là les gens riaient de ça. On passait pour des hurluberlus », raconte-t-elle. Ils font alors partie de la fondation du mouvement bio au Québec avec l’Association des producteurs écologiques de l’Estrie « Ça s’appelait comme ça à l’époque », avec la Ferme Sanders et la Milanaise « dans le temps où c’était un producteur maraîcher » (!).

À l’époque il y a très peu de fermes d’ail au Québec, voir pas. « La ferme la Généreuse en faisait un peu, et quelques autres fermes dans les terres noires près de Napierville, Saint-Rémi…  Les gens faisaient de la petite ail rose dans ce temps-là, c’était de l’ail à tige molle et ils vendaient ça sous forme de tresses ». Curieuse de nature Christiane lit beaucoup, se documente continuellement, et c’est comme ça qu’elle entend parler d’un projet de recherche sur les variétés d’ail à Chambly. Elle se rend sur place rencontrer le chercheur principal mais le projet se termine. Il ne sait pas quoi faire de ses échantillons alors il lui en fait cadeau : 25 variétés d’ail dans des petits sacs de papier brun. « C’est la Music la plus fiable selon nos recherches » ajoute-t ’il avant de la quitter. Christiane fait ses tests et réalise que en effet, la Music semble la plus intéressante. Il lui faut trouver comment s’en procurer. Elle téléphone au ministère de l’Agriculture de l’Ontario qui la réfère au producteur de la banlieue de Toronto qui a développé la semence, un certain Al Music. Christiane se rend chez lui et repart avec un premier 200 livres d’ail. Elle y retourne ensuite chaque année, récupérer des quantités de plus en plus importantes.

La fleur d’ail dans tous ses états

C’est au cours de ses aller-retours en Ontario qu’elle découvre que la fleur d’ail est comestible. « C’est mangé comme légume en Asie. En Ontario, ils appellent ça des garlic scapes, ça se trouve pour pas cher dans les marchés chinois. Au début je ne savais pas que ça se mangeait. Avoir su, j’en aurais mangé! Un moment donné j’en avait beaucoup et j’ai décidé de mettre ça dans l’huile au frigo. C’était en juillet. Rendu à l’automne j’ai pris mes pots et puis je me suis dit je vais regarder de quoi ça a l’air, je m’attendais à ce que ce soit peut-être moisi mais quand j’ai ouvert les pots ça sentait vraiment bon. » Au moment où Marie-Pierre et Sébastien font l’acquisition de la ferme en 2012, Christiane exploite 4 acres d’ail, et la fleur d’ail est devenu son principal chiffre d’affaires. Les 2/3 de ses revenus proviennent de la fleur d’ail et 1/3 de l’ail. Les fleurs d’ail fermentées sont alors distribuées dans 500 points de vente. Aujourd’hui avec 45 acres cultivées, la proportion du chiffre d’affaires s’est inversée à 2/3 d’ail et 1/3 de fleurs d’ail dans 800 points de vente.

Pour l’anecdote les gens appellent la fleur d’ail « fleurette d’ail » au Québec à l’époque. « Moi je n’aimais pas ce nom-là » confie Christiane en rigolant. « Je me suis mise à appeler ça fleur d’ail et ça n’a pas pris de temps qu’ils sont mis à dire garlic flower en Ontario ».

Entrepreneurs avant tout

Ce qui me frappe en jasant avec les propriétaires du Petit Mas, c’est leur discipline rigoureuse à récolter le plus de données possibles. Ils doivent bien sûr compiler des chiffres et des statistiques pour leurs différentes certifications (Canada GAP, Ecocert) et organismes subventionnaires, mais on sent que ça va bien au-delà de ça. Ça se voit qu’ils ont un background en recherche. C’est comme si tout était pensé autour des données. « On analyse beaucoup » me confirme Marie-Pierre, « je sais combien ça me coûte en cassage, je sais combien ça me coûte en nettoyage … Tsé quand tu veux faire une demande de subvention pour différentes machineries, tu as toutes les infos. Tu sais que tu payes tant en emballage. C’est mon premier coût après les semences. Avec  la machine qui me coûte tant, et selon sa capacité, j’économise tant, donc je sais qu’elle est rentabilisée en 2 ou 3 ans. Ça aide à comprendre tes coûts de production, où est ce qu’elle passe ton argent. Plus tu notes tes affaires plus tu sais quel employé fait quoi. Aujourd’hui par exemple je sais j’ai combien de personnes en sarclage dans quel champ. Je sais que l’an passé ça m’a coûté 45 000$ en sarclage. Au fil des ans on a l’historique. Je peux retourner voir ce que j’avais fait telle année dans le 6.1 ou le 7.2 et voir que les résultats étaient bons telle année, et que telle autre année il y avait de la mauvaise herbe ».

Leur année financière se termine le 31 décembre, alors en janvier ils montent leurs fichiers pour l’année à venir avec un scénario plus pessimiste comme si la moitié des champs étaient perdus. « Si tout d’un coup l’ail sort, et bien on fait notre argent! » Mettre du temps et de l’argent dans ton champ ça vaut aussi la peine ajoute Sébastien, « on fait analyser nos sols à tous les ans, s’il y a des carences en minéraux on les ajoute, la différence se voit dans le calibre automatiquement ». En terminant il m’enlève les mots de la bouche, c’est drôle je lui dis, en vous parlant j’ai moins l’impression de parler à des agriculteurs, mais plus à des … « entrepreneurs » termine-il pour moi. Et bien voilà!

Le Petit Mas

60 route 251
Martinville, Québec
J0B 2A0
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(819) 501-8747
www.lepetitmas.ca

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