Par Paul Pospisil

The Garlic News, édition Hiver 2011-2012

 

A notre ferme « Beaver Pond Estates », nous avons systématiquement recours aux engrais vert de  moutarde comme mesure préventive contre le nématode des bulbes et des tiges dans nos cultures d’ail.

Ce ravageur est arrivé dans l’ail Music par trois sources différentes à l’automne 2005 au moment de semer nos essais comparatifs. En 2006, lorsque les résultats de laboratoire ont confirmé la présence du nématode, nous avons entrepris une série d’essais  avec  des engrais vert de moutarde qui a duré  de 2006 à 2008 (« Nematode Suppressing Green Manure Trial »).

Les essais avec l’engrais vert de moutarde ont démontré leur efficacité pour éliminer ou réduire de façon significative le nématode (i.e. sous le seuil des valeurs de détection dans le sol en laboratoire).  À ce moment, nous ne pouvions trouver que de la moutarde jaune régulière sur le marché puisqu’il ne semblait pas y avoir de source d’approvisionnement canadienne pour la moutarde orientale.  Depuis ce temps, nous avons trouvé une source de moutarde orientale « Cutlass » en Saskatchewan, et nous l’utilisons désormais en remplacement de la moutarde jaune régulière.

La théorie derrière la gestion des ravageurs avec les engrais verts

Fumigant: nom masculin. Pesticide qui s’évapore ou se décompose en produits gazeux au contact de l’air ou de l’eau.

Les engrais verts de moutarde, et les autres plantes de la famille des Brassicacées (ndt : anciennement nommées « crucifères »), poussent rapidement à l’automne, produisent une bonne biomasse et aident à l’absorption des éléments nutritifs.  Ils suscitent un regain d’intérêt à cause de leurs propriétés particulières. La plupart des plantes de la famille des brassicacées sont naturellement riches en glucosinolates qui, lors de leur décomposition, libèrent des composés volatils toxiques pour divers organismes du sol tels les nématodes, insectes, bactéries,  champignons et certaines plantes adventices (« mauvaises herbes »).  On les broie et on les incorpore au sol pour maximiser leur potentiel désinfectant naturel, car les composés chimiques que nous recherchons sont produits seulement lorsque les cellules individuelles de la plante sont brisées par le broyage ou l’écrasement de la partie feuillue.

On croit que la suppression des ravageurs est due à la dégradation et à la transformation du glucosinolate en des composés biologiquement actifs contenant des composés soufrés nommés isothiocyanates.

Pour maximiser la suppression des ravageurs, il est préférable d’enfouir l’engrais vert au stade de vie où le ravageur est le plus vulnérable.  Étant donné que le nématode est plus actif tôt au printemps et tard dans l’été, la plantation et l’enfouissement doivent être cédulés pour avril-mai et à nouveau en août-septembre.

Pour que le traitement soit efficace, le sol doit être maintenu très humide après l’incorporation (peut impliquer une irrigation), il est recommandé d’incorporer le broyat avant une pluie (la macération contrôlée de la plante permet d’optimiser sa production de biocides non synthétiques) ; – un délai d’une semaine avant semis ou plantation ; – une période chaude (inefficace tard dans l’automne).

 

Les engrais verts en pratique à la ferme Beaver Pond Estates

La moutarde est semée à tous les ans dans deux de nos trois parcelles en rotations –là où l’ail vient d’être récolté et là où il sera planté à l’automne.

  1. Semer après la récolte. Aussitôt que l’ail est récolté, les planches seront hersées pour détruire les adventices et enfouir le restant de paillis s’il y a lieu.  Une semaine plus tard, une deuxième passe de rotoculteur pour détruire les faux-semis et la moutarde est semée à la volée, puis recouverte légèrement avec un râteau. Si le sol est très sec, un arrosage pendant les 2 ou 3 prochains jours permettra la germination.  Cette parcelle semée en août pousse très rapidement et est prête à enfouir en un mois ou moins. Il est important de la broyer au début de la floraison (avant qu’elle monte en graine) pour éviter qu’elle devienne à son tour un problème.

Pour briser la moutarde, nous avons essayé deux méthodes :  la première en utilisant une faucheuse (à foin) à barre de coupe (« sickle bar mower ») à différentes hauteurs, en effectuant plusieurs passes.  La deuxième méthode en la coupant à l’aide d’une débrousailleuse (alias « fouet à gaz », taille/coupe-bordure, tondeuse à fouet, tondeuse à fil de nylon, etc).

La débroussailleuse a fait un meilleur travail malgré que cela ait pris plus de temps.  Il est important que les plantes soient bien coupées et hachées pour permettre au glucosinolate d’être relâché et pour accélérer la décomposition.

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Moutarde jaune prête à broyer et enfouir, 21 juillet 2014, Montérégie-Ouest (photo :  Les Jardins Nature-Ail, 2014)

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Échec lors de l’essai d’enfouissement direct au rotoculteur.  De plus, la moutarde n’est pas du tout broyée.  (photo Les Jardins Nature-ail 2014).

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La moutarde n’est pas très haute, mais c’était beaucoup pour la tondeuse, surtout avec le « mulcher » installé en dessous.  (photo : Les Jardins Nature-ail, 2014)

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Donne quand même un bon résultat de broyage.  Prêt à enfouir avec le rotoculteur. (photo :  Les Jardins Nature-Ail, 2014)

 

La moutarde hachée est prête à être enfouie à l’aide du rotoculteur.  Une deuxième passe de rotoculteur doit être faite une semaine plus tard et une deuxième semence de moutarde est appliquée à la volée puisqu’il y a amplement de temps qu’elle pousse avant les gelées (si vous êtes dans une région assez chaude).

Vous vous demandez probablement pourquoi ressemer la moutarde une deuxième fois puisque vous ne planterez pas l’ail à cet endroit l’an prochain?  C’est que dans notre plan de rotation biologique, la parcelle  d’ail devient l’année d’après un  jardin de légumes et ensuite, de fleurs.  S’il y a des nématodes dans le sol qui n’ont pas été détectés, ils pourraient reprendre leur cycle de vie avec d’autres hôtes, tels les betteraves, les glaïeuls ou d’autres plantes.  C’est une pratique de prévention.

  1. La moutarde dans de nouvelles planches. Là où l’ail sera planté à l’automne, on cultivera  tout au long de la saison une succession d’engrais verts.  La moutarde en avril, suivie par deux (ou plus) semis de sarrasin.  Le semis final en août ou septembre sera encore de la moutarde pour une dernière fumigation du nématode.  Une fois que la moutarde est enfouie, on lui laisse une période de 2 à 3 semaines pour permettre à la matière végétale de se décomposer.

Le suivi pour le nématode des tiges et des bulbes

Une parcelle d’ail qui est rabougrie ou en dégénérescence est facilement repérable et peut indiquer une infestation.  Il est alors nécessaire d’envoyer des échantillons de ces plants à un laboratoire de pathologie pour déterminer si la cause est le fusarium ou le nématode.  Même s’il n’y a pas de signes d’infestation sur les plants, des échantillons de terre sont envoyés tous les ans au laboratoire pour une détection de nématode.

LABORATOIRE DE DIAGNOSTIC EN PHYTOPROTECTION
2700, rue EINSTEIN, D.1.200h
Québec (Québec) G1P 3W8
Téléphone : 418 643-5027, poste 2700

Depuis 5 ans maintenant que nous utilisons régulièrement la moutarde – il n’y a eu aucune indication que le nématode  ait  survécu.  C’est pourquoi j’ai confiance que l’utilisation d’un engrais vert de moutarde est une solution efficace pour le contrôle du nématode des tiges et des bulbes.